“JOSHUA & ANNA„

« Shooting, chocolat et séduction. »

Je soupirais en posant les pieds à l'Ambroisie. L'endroit semblait merveilleux, pleins de plaisirs sucrés et de promesses de conversations doucereuses autour d'un chocolat chaud. Je m'y sentis bien, dès que j'y pénétrais, avant de poser les yeux sur l'équipe qui était là pour la séance photo. Tout d'un coup, la douceur du lieu et l'apaisement laissa place au stress. J'avais toujours tendance à être un peu nerveuse avant une séance, tout comme avant une émission télé. Je n'étais pas faites pour ça. J'étais faite pour jouer, disparaître sous les déguisements, sous les personnages. Je n'étais pas femme à m'exposer dans ma plus grande intimité. Sauf que pour l'appareil photo, au contraire de la caméra, il fallait capturer l'image, la vraie, d'une personne. On nous demandait de tirer le meilleur ou le pire de nous même pour le faire ressortir sur une seule image, là où tout mon talent s'exprimait sur une multitude d'images adossées les unes aux autres.

On m'extirpa sans ménagement de mes pensées, m'indiquant qu'il était temps de me préparer. Vêtement, coiffure, maquillage, en moins d'une demi-heure, j'étais prête. Talons hauts bleus électriques, pantalon slim noir, chemise taille empire et manche trois-quart bleue marine. Le coiffeur, un vrai dieu pour moi puisqu'il ne m'avait pas arraché les cheveux de la tête en me coiffant, m'avait concocté une queue de cheval haute... vertigineusement haute, droite, lissée à l'extrême de la racine jusqu'à la pointe. On m'avait maquillé de manière très discrète. Seul mes yeux semblaient l'être, rehaussé par un trait d'eyes liner noir et mes lèvres légèrement glossées pour la brillance. Ne manquait plus qu'à attendre « l'autre héros » de la séance photo pour pouvoir commencer. J'étais en train de rire d'une blague du photographe quand il pénétra à son tour dans la boutique. Il salua brièvement un maximum de monde avant de venir poser un baiser sur ma joue pour me souhaiter un bon matin, me demandant comment j'allais. Je hochais la tête en guise de réponse, avant qu'il ne s'éclipse se préparer à son tour. Je m'étais promis il y a des mois de changer de comportement en sa présence. De ne pas être celle qui attend une chose qui ne viendra jamais et de faire l'effort de l'ignorer le plus possible et le plus naturellement du monde. J'étais actrice, une bonne actrice, je pouvais faire ça... ou tout du moins jouer le jeu et faire semblant.

Je fus fière de moi quand il revint, beau comme un dieu, et que je n'eus aucune réaction. Du moins aucune réaction autre que celle digne d'une amie. Heureusement, nous n'attendîmes pas bien longtemps avant de commencer réellement la séance de travail. Le photographe nous laissa relativement libre, se contentant de nous donner le scénario de la séance et de nous indiquer les émotions qu'il voulait voir passer. Ensuite, ce fut à nous, les deux acteurs, de nous débrouiller pour rendre le mieux possible ce qu'il voulait. D'abord, un peu intimidé à l'évocation de l'idée de « faire comme si notre complicité à l'écran était réelle dans la vie », j'eus un peu de mal à me mettre en place. Ne sachant où mettre mes mains, quel regard porter... Rapidement cependant, Josh prit les choses en mains, commençant à faire le pitre, plaçant un beignet entre ses dents, regard de gamin et sourire en coin. Je ris en le voyant ainsi placé et m'approchait doucement, posant mes mains sur ses bras et mordant à mon tour dans le beignet, le regard plongé dans le sien. Je souris, lui fit un clin d'œil, puis m'éclipsa en tirant sur le beignet pour qu'une grosse partie de celui-ci me suive. En un rien de temps, je lui tournais le dos, riant et attrapant le morceau de pâtisserie d'une main, non sans en croquer un bout pour y goûter. Les produits en vente ici avaient toujours un goût exquis. Le photographe me ramena à la réalité en s'exclamant que c'était fantastique et en nous demandant d'aller nous asseoir à la table préparée pour le shooting. Je ne me fis pas prier et attendit que Josh prenne également place, sans le quitter des yeux, les coudes sur la table et le menton posé au creux de ma main droite.

“JOSHUA & ANNA„

« Shooting, chocolat et séduction. »

Pendant des mois, être amie avec Joshua, rire, jouer avec lui avait été un pur bonheur. Aucune prise de tête, aucun besoin de faire attention à ses gestes. Tout avait été plus simple alors, parce que j'en aimais un autre et que j'étais heureuse de l'avoir comme amie. Pour être honnête, j'ignorais encore aujourd'hui quand les choses avaient bien pu changer pour de bon. Quand les câlins n'avaient plus eu la teneur amicale du début ? Quand, exactement, sa bouche était devenue aussi tentante, ses caresses aussi douces ? J'avais fini par m'habituer à cette lutte constante, cette envie irrépressible qu'il fallait réprimer, ce manque de mon ami pour éviter les ennuis. C'était reposant de, pour une fois, ne pas avoir à faire attention, laisser les choses s'exprimer comme elles en avaient envie. J'aurais même pu - j'en étais certaine - l'embrasser, que personne ne s'en serait formalisé, pensant que je ne le faisais que dans l'intérêt de la séance photo. Ne tentons pas le diable tout de même, pensais-je en me mordant la lèvre. Pas que la tentation n'était pas grande, mais après, il faudrait certainement expliquer et si l'excuse passerait pour la plupart, pour d'autres, cela ne marcherait pas.

« Tu as un peu de sucre glace sur le bout du nez. », me dit-il en le retirant du bout des doigts, m'arrachant un rougissement. Alors qu'il portait son doigt à sa bouche, je mordais un nouveau morceau de beignet, posant le reste dans l'assiette devant moi, ramené brutalement à la réalité par l'exclamation enthousiaste du photographe. Quand je songeais que je l'aurais presque oublié celui-là... Je ris quand il demanda à Josh d'oublier l'objectif, mais redevint sérieuse et concentrée immédiatement après, alors que Josh attrapait une des mèches de ma queue de cheval. Je plongeais dans son regard, alors qu'il jouait avec. « Il a fait du bon boulot le coiffeur. Non sérieux, quand je te regarde, je te trouve presque jolie... » J'aurais pu avoir du mal à l'encaisser, si ça n'était pas venue de lui. Je le connaissais, parfaitement, je savais qu'il ne disait ça que pour obtenir une réaction de ma part. S'il ne me trouvait véritablement pas « jolie » au quotidien, il y avait tout un tas de choses qu'il ne m'aurait pas faites. Et il me les avait faites, ses choses. Je rougis à ses pensées peu catholiques, repoussant sa main d'un geste en grommelant. « Alors, ne me décoiffe pas », intimais-je, taquine. « Il a travaillé dur pour me rendre un minimum présentable pour nos... comment déjà ? Ah oui, pour nos fans ! Ne les déçois pas », dis-je en posant main sur celle des siennes qui n'était pas en train de me taquiner quelques secondes plus tôt. Le regard amusé, sourire en coin, petit air malin, j'ajoutais pour l'interpeller « Monsieur Pacey Witter ! »

“JOSHUA & ANNA„

« Shooting, chocolat et séduction. »

Je soupirais en levant les yeux au ciel. Moi une fan hystérique du charmant Pacey Witter ? « Mais bien sûr », m'exclamais-je sarcastique. « Pour tout avouer, j'étais toute heureuse quand mon agent m'a dit qu'un des acteurs de Dawson allait incarner Peter. J'ai presque été déçu quand c'est toi que j'ai vu débarquer. James était si mignon en Dawson il aurait fait un Peter tout chou. » Là, c'était à mon tour de le taquiner bien sûr. Comme si j'avais voulu qui que ce soit d'autre que lui en Peter. Comme si j'avais voulu qui que ce soit d'autre que lui comme partenaire de jeu. Le fait que je ne lâche pas sa main prouvait bien que je n'étais pas si déçue que cela qu'il soit la co-star du show. Ça faisait du bien. Pouvoir avoir un contact sans remords, sans questionnement. J'adorais jouer Olivia Dunham, pour tout un tas de raisons, mais il y avait ça aussi. Ses dernières années, nous avions oscillé entre couple et pas couple, entre câlins et rejet, pour finalement, vers la fin, n'être à nouveau plus que deux partenaires qui cherchaient à se retrouver. Les contacts avec Josh étaient brefs, mais ils étaient là, présents et inéluctables. Parce qu'Olivia et Peter revenaient toujours l'un vers l'autre. C'était réconfortant, c'était apaisant, mais ça restait difficile, car soumis à un script, sans vraiment rien de naturel. Le moment était déterminé, marqué et il fallait donner le bon texte pour pouvoir l'obtenir. Là, on nous demandait juste d'être nous... tout en étant un petit peu plus nous. Faire semblant de se désirer pour de vrai... le jeu le plus naturel du monde. Et on retrouvait notre vie. Notre amitié, notre proximité, mais aussi notre désir, je le sentais. La pression qu'il exerçait sur ma main, ce rire qu'il avait en permanence, cachant une certaine gêne, ce sourire qui était le mien pour cacher que chacun de ses contacts m'arrachait des picotements doucereux dans la nuque et le bas du dos.

L'attaque à la tarte à la crème qui suivit ne fut probablement que justice. Petite bêtise enfantine digne de Joshua Jackson. Je fis mine d'être offensé cependant, pour la forme, alors qu'il récupérait un peu de crème sur mon nez. Après le sucre glace, la crème., songeais-je en soupirant. « Hum... Joshua », l'interpella le photographe. « Bien qu'Anna soit magnifique, le coiffeur et la maquilleuse ont fait un bon travail. Il serait bien que tu ne détruises pas tout, même si ça donne de très bons clichés. Une fois qu'elle sera barbouillé de crème, ça sera irrécupérable alors garde nous ça pour la fin, okay ? » Je me levais prestement, alors que la maquilleuse s'approchait pour réparer les dégâts. Je ne m'en préoccupais que peu, lui donnant un accès facile à mon visage, mais foudroyant les deux hommes du regard. « Okay qu'on soit clair les filles ! », dis-je en mode Altlivia. « Qu'on me barbouille de crème, de sucre ou de quoique ce soit d'autres et vous aurez affaire à mes talons aiguilles, compris ? » Je ne me souvenais que trop de quelques fois où ce genre d'idée avait complètement dégénéré dans des lieux n'ayant aucune douche à disposition et ne tenait pas spécialement à devoir rentrer chez moi couverte de nourriture. Le chemin était trop long pour que cela me plaise.

La maquilleuse termina vite les retouches nécessaires, alors que le coiffeur s'était lui aussi attelé à me remettre en ordre. Une fois fait, je retournais à proximité de la table, attrapant un cupcake recouvert de glaçage rose pale. J'en retirais une petite couche de l'index et le porta à ma bouche, prenant appuie sur la table et regardant Josh. « Approche », lui intimais-je en tirant doucement sur sa chemise, mon regard planté dans le sien, le cupcake placé entre nous de sorte qu'il ne puisse se coller complètement sans avoir à le repousser. C'était à lui de faire ce geste. A lui de s'approcher, de faire mine de m'embrasser. Parce que c'était lui, depuis le début de la séance, qui guidait le mouvement, qui jouait celui qui prenait les devants. Mieux valait que ça continue ainsi si nous devions nous embrasser. Mieux valait qu'il fasse le premier pas, qu'il hésite et que le photographe nous pousse à souder nos lèvres, s'il estimait que c'était bon pour le cliché... En fait, mieux valait qu'il ne nous y pousse pas. Qu'il nous demande de faire semblant et qu'il dise à Josh de s'arrêter à quelques millimètres de mes lèvres. Je n'étais pas sûr de répondre de moi dans le cas contraire.

“JOSHUA & ANNA„

« Shooting, chocolat et séduction. »

Ça n'était pas bien. Vraiment pas bien. Jouer sur ce terrain glissant. Note à moi, même. Tuer ce si adorable et si brillant psychopathe qui me sert d'agent. Ça n'était pas pour rien que je fuyais Josh depuis plus de deux ans. Pas pour rien que nous avions drastiquement restreintes nos sorties en publics. Pas pour rien que je m'échinais à l'aimer, le désirer et l'embrasser uniquement devant une caméra, quand j'étais l'agent du FBI Olivia Dunham et que lui n'était plus alors à mes yeux que Peter Bishop. Pourquoi j'avais fait ça ? Pourquoi je l'avais fait se coller à moi ? Pourquoi je l'avais poussé si près de moi que le seul intérêt possible pour un photographe après ça soit de nous demander de nous embrasser, nous Joshua Jackson et Anna Torv. Jouer les amoureuses, rester distante et l'embrasser de la bonne manière quand j'étais Olivia était facile. Olivia n'aurait pas lâché le cupcake. Olivia n'aurait pas attrapé la chemise de l'homme pour approfondir le baiser. Olivia n'aurait pas totalement oublié qu'elle était en train de travailler et non en train de céder aux pulsions primitives qui l'habitaient chaque fois qu'elle posait les yeux sur les lèvres rosées et délicieuses de l'homme qui lui servait de partenaire, à défaut de plus. Olivia se contrôlait. Pas Anna.

Je n'entendis que trop clairement la demande du photographe, ne vit que trop bien Josh hésiter avant de fondre sur ma bouche et ne sentit que trop mon coeur pulser contre mes côtes, me déchirant de l'intérieur. Maudite séance photo, pensais-je, que trop consciente qu'il faudrait avoir une sérieuse discussion avec mon partenaire après ça. S'il était possible de l'éviter, j'aurais été prête à faire n'importe quoi pour. C'était trop. Trop vite, trop impulsif, trop féroce,... trop bon. Ça faisait deux ans que je luttais pour l'éviter. Deux ans qu'on me demandait plus ou moins clairement de me tenir à distance. Et là, on me demandait de me laisser aller, de faire comme si tout le reste n'avait pas d'importance, comme si on pouvait se le permettre. Alors, on avait pris ce droit et on s'embrassait dès lors comme si le monde allait s'écrouler par la suite. J'ignore si ma lutte interne l'emporta ou si Joshua brisa le baiser avant moi, mais je sais que nous nous retrouvâmes vite à une distance plus acceptable. Je n'étais plus assise contre la table, mais debout, tout comme lui, devant tout un staff qui nous regardait bouche bée, les yeux grands ouvert. Je souris maladroitement, rougissant de plus belle, alors que je croisais les bras sur ma poitrine. « Peut-être un peu trop... sauvage, non ? », demandais-je à l'attention du photographe. « Vous auriez dû lui dire d'embrasser comme Peter, on sait que lui reste doux dans l'intimité. Josh a l'air du genre plus... possessif. »

Ça n'était pas la meilleure des excuses, mais avec le rire qui accompagnait, ça pouvait marcher. Et puis il y avait ce mot d'ordre dans le milieu du shooting photo : ne pas parler des excès. C'était un truc qu'une copine mannequin m'avait appris un jour. Quand il y avait des fuites, c'était souvent les assistants mécontent de servir de larbins ou des personnes externes au staff. Le photographe, les coiffeurs, maquilleurs, etc... évitaient de divulguer que la starlette ou la top model qui faisait frémir tout Hollywood était accroc au crac ou volait les vêtements du shooting. « On reprend ou... ? » Pitié que ça soit terminé, pensais-je avec peu d'espoir.

“JOSHUA & ANNA„

« Shooting, chocolat et séduction. »

C'était mal et je m'en foutais. Il n'aurait pas dû fondre sur ma bouche avec autant d'argent et j'étais heureuse qu'il l'ait fait. Je n'aurais pas dû l'inciter à le faire pour commencer et c'était à moi d'être coupable. Je m'étais tellement refusée à ça. Tellement refusée d'être à nouveau sous sa coupe, sous cette pulsion insupportable qui me donnait envie de tout détruire pour peu que je l'obtienne à la fin. Mais il n'était pas mien et il ne le serait jamais. Il jouait sur les deux tableaux et c'était mal, mais je jouais sur ses deux tableaux aussi. L'amie toute souriante qui se voulait maîtresse. Car il était clair que je ne serais jamais rien d'autre que ça, la maîtresse. Je n'étais destinée qu'à ça. Jamais il ne quitterait Diane pour moi et jamais je ne le laisserais la quitter pour moi. Je n'étais pas une de ses « garces » d'Hollywood. Je n'étais pas Angelina Joli tombant amoureuse d'un Brad Pitt si amouraché de moi qu'il divorcerait pour moi. Josh ne quitterait pas sa compagne pour moi, pour que nous vivions heureux, avec mille enfants, dans le plus grand désintéressement de l'avis des journalistes et du reste de la planète. Nous ne serions pas le couple glamour d'Hollywood. C'était eux, ça. Et moi, tout ce que je pouvais espérer obtenir, c'était les restes. La passion qu'il n'aurait pas mis dans son couple, l'attention qu'il n'aurait pas donné à sa famille, le plaisir qu'il n'aurait pas pris avec elle... La maîtresse dans l'ombre, voilà tout ce que j'étais destinée à être, si je m'entêtais sur ce chemin-là.

Le reste de la séance se déroula sans accroc, chacun de nous laissant la distance nécessaire pour sembler proche et séducteur, sans pour autant fondre comme dans la première partie. Lorsque tout fut terminé, que notre boulot fut accordé, je l'entendis même grommeler à son assistant qu'il faudrait inverser les clichés, mettre notre fin timide au début et aller progressivement vers le début de la séance jusqu'au baiser, voir même diviser carrément la séance en deux, la première partie étant bien trop torride pour que la seconde ne paraisse pas fade à côté. Moi, après avoir surpris cette discussion, je fis une halte à la maquilleuse qui me débarbouilla rapidement, puis repris le chemin de ma « loge » pour réfléchir. C'était une petite pièce sans grand éclat à l'arrière de la boutique, mais l'équipe avait pris soin d'y installer un miroir, quelques rafraîchissements et pâtisseries, ainsi que les vêtements avec lesquelles j'étais arrivée ce matin.

Quittant les instruments de torture que j'avais aux pieds, je retrouvais avec joie la fraîcheur et la dureté du sol sous la plante de mes pieds nus. Ainsi retrouver ma hauteur naturelle, je me sentis bien plus à l'aise, plus stable. J'enlevais mon haut pour mon débardeur blanc de ce matin et remplaçait le pantalon par un jean coupé droit. Je restais néanmoins pieds nus alors que j'attrapais une petite bouteille d'eau trônant sur la table pour en boire une bonne partie. Je m'amusais toujours de voir combien les américains - et les canadiens - avaient besoin de chaussures en toutes circonstances pour être à l'aise. Moi, l'australienne de souche, j'avais grandi pieds nus. Sur les plages, dans ma rue ou chez ma mère. Je n'aimais pas particulièrement devoir porter des chaussures toute la journée, alors pouvoir m'en libérer était un luxe que je prenais toujours avec grand plaisir. Assise devant le miroir, je fis la grimace en voyant mes cheveux toujours attachés et dans un geste, j'ôtais l'élastique qui les maintenait fermement ensemble. Une cascade blond doré s'échappa pour retomber sur mes épaules, encadrant mon visage de manière anarchique. Deux trois passages de mains dans les cheveux suffirent à obtenir quelque chose de potable. Mon regard, néanmoins, se contrefichait de cet aspect esthétique, trop concentré qu'il était à se fixer lui-même à la recherche du remords et de la honte qui m'accablait. Ils n'étaient pas difficile à trouver, les sentiments étant trop présents pour ne pas être vu. Et pourtant, il y avait cet éclat aussi, ce plaisir non dissimulé, cette envie de recommencer, de pousser le vice toujours un peu plus loin. Joshua Jackson avait un goût d'interdit et une part de moi se plaisait à sentir quand nous dépassions les limites.

On toqua à la porte et avant que je n'ai eu le temps de répondre, une voix bien trop infernale en passa le barrage. « Anna, c'est moi. » Je soupirais. Non, pas maintenant. Pas alors que j'ai juste envie de t'embrasser encore... Sans m'en rendre compte, je m'étais levée et dirigée vers la porte, tant et si bien que lorsqu'il ouvrit la bouche à nouveau, j'avais la main sur la poignée. « Je voulais... écoute je... excuse-moi... » Je posais mon front contre le bois vernis, inspirant doucement, puis expirant. C'était mal. Ouvrir cette porte serait mal. Le laisser entrer maintenant serait mal. S'il entrait dans cette pièce, alors que je pensais, il y a à peine une seconde, à pousser plus loin le crime, nul doute que les choses n'iraient pas en s'arrangeant. Et puis une chose me frappa. Que se passerait-il si on le surprenait là, à parler à ma porte, après ce baiser que le monde entier pourrait bientôt voir dans un magazine quelconque et sur le net ? Les rumeurs iraient bon train, Diane nous accuserait d'avoir mis le feu au contrat et nous en subirions les conséquences. Furieuse, j'ouvris la porte à la volée, le foudroyant du regard. « Tu réalises que venir ici t'excuser n'arrange absolument rien ? Comme tu l'as dit, il nous a demandé de nous embrasser, ce que nous avons fait. C'était ce qu'il voulait, il en a eu pour son argent, point final. Il n'y a rien à excuser, rien à dire. Travail terminé. Point final. » Je m'apprêtais à refermer la porte quand je réalisais la brutalité de mes mots, de ma voix, de mon regard. Je soupirais une nouvelle fois, basculant la tête en arrière. Puis je me décalais pour le laisser rentrer, lui intimant d'un geste de le faire. Quand il entra enfin, je refermais derrière moi, non sans vérifier qu'aucun paparazzi du dimanche à l'appareil photo intégré de nous avait pris en flagrant délit, sinon il faudrait expliquer pourquoi il était venu avant que la photographie n'apparaisse sur le net. « Excuse-moi, je n'aurais pas dû te parler comme ça. C'est juste que... Ça n'arrange rien. Ni les excuses, ni les longues discussions qui veulent tout arranger. La dernière fois, ça a juste failli nous foutre encore plus dans la merde. » La dernière fois qu'il avait voulu parler pour expliquer, pour excuser, ils avaient manqué de s'embrasser, révélant à Diane et à Mark une partie de l'infidélité dont ils s'étaient rendus coupable. Parce qu'ils étaient incapables de se parler tout bas, de confident à confident, sans se rapprocher jusqu'à ne plus parler. « J'en viens à être soulagé que le tournage se termine bientôt », avouais-je, ma voix se brisant, trahissant tout le mensonge de cette phrase. Je n'en étais pas heureuse. Je n'en étais pas soulagé. Et si ne plus le voir tous les jours allait m'ôter un énorme poids, celui qui allait le remplacer serait bien pire. Je n'avais pas besoin de connaître l'avenir pour savoir ça.

“JOSHUA & ANNA„

« Shooting, chocolat et séduction. »

A la seconde où je fermais la porte de la loge, je me rendais compte de l'erreur sans nom que j'avais faite. Lui et moi, seuls, dans une si petite pièce. Il nous fallait être seuls pour parler de ça, mais j'aurais de loin préféré une grande pièce, très grande, où j'aurais pu m'éloigner de lui au maximum pour éviter toute envie de pénétrer son espace vitale et de fondre dans ses bras. Garder la tête froide et lui dire que tout ça n'est plus possible, m'intimais-je avant de poursuivre. « J'en viens à être soulagé que le tournage se termine bientôt. »

A la seconde où cette phrase passa la barrière de mes lèvres, mes yeux se rivèrent sur lui pour obtenir sa réaction. Il y croyait. Il y croyait vraiment. Que cela me plaisait, que j'étais heureuse à l'idée de quitter le plateau, cette famille que nous avions créée depuis cinq ans, de le quitter lui... Quand il prononça mon nom, appel implicite à lui dire quoi faire, comment réagir, je sentis la fureur monter en moi. La colère qu'il croit mes mots, qu'ils pensent que je ne serais pas dévasté. Et je m'approchais de lui, furie tentant de se calmer, blessée plus encore par sa réaction qu'il n'avait pu l'être par mes mots auxquels il croyait si fort. « Comment peux-tu ? », crachais-je assez bas pour m'étonner d'avoir autant de contrôle sur la puissance de ma voix. « Comment peux-tu y croire un seul instant ? Jasika, John... tous les autres... toi... Comment peux-tu croire que je serais heureuse de vous quitter, de ne plus vous voir tous les jours, tout le temps. » Je m'étais encore approché, assez pour pouvoir matraquer son corps de mes poings affaiblis par la tristesse, alors que les larmes coulaient. J'étais stupide, je le savais. Je ne voulais pas qu'il me retienne. Je ne voulais pas qu'il me touche, qu'il m'embrasse, qu'il commette l'interdit, pourtant j'étais incapable de supporter qu'il accepte ça. J'étais incapable d'accepter qu'il ne s'offusque pas, qu'il ne me contredise pas, qu'il ne sache pas lire en moi tout ce que je m'évertuais à ne pas dire. « Je t'interdis... Je t'interdis d'y croire. Je t'interdis... » Ma respiration était saccadée, incontrôlée et mes poings se détendirent pour que mes mains se posent à plat sur son torse, le repoussant de toutes mes forces.

Puis sans réfléchir, sans savoir pourquoi... ou plutôt en obstruant le pourquoi, je me jetais sur lui, poussant sur mes pieds de toutes mes forces, enlaçant son cou avec force pour l'attirer à moi, plaquant mes lèvres contre les siennes avec la même fureur de mes mots. Baiser intense, furieux, mais court. Parce qu'à la seconde où je réalisais ce que j'étais en train de faire, je m'arrachais à ses bras, reculant autant que l'espace confiné ne me le permettait. Trois ans. Nous avions tenu trois ans bordel. Pourquoi étions-nous incapable de tenir plus aujourd'hui ?